Using colored pencil drawings on paper kitchen placemats, watercolors and enamel paintings on earthenware, Héloïse Farago creates a contemporary feminist and lesbian iconography inspired, among other things, by the medieval world and fairy tales. Female Quixotes, knights, monsters, noble ladies or heroic commoners are the protagonists of a work that also unfolds in audiovisual, textile and sculptural forms, and features a colorful do-it-yourself aesthetic and Camp made with simple means.
The figures and scenes depicted by the artist are not only the work of fiction - that of Monique Wittig (*1) or that familiar from the tales and novels of our childhood. Farago's visual constellation also includes historical figures with whimsical, nonconformist lives. We meet Marguerite de Beverly, a young English plebeian from the 11th century, who set off on a crusade to Jerusalem. Driven by unfailing courage, she leads the battles unarmored, with a saucepan for a helmet.
In the video Love Story (2023), five characters in a faraway land reminiscent of medieval Europe set out on a mission to oust the patriarchy. This group of adelphs seems to embody different aspects of joyful feminist activism: offense and defense, camaraderie, reconciliation, the obvious inclusion of the struggle of trans people, and love. The artist's costumes have the assumed beauty of outfits made for a play or an amateur drag show. The comic tone and sometimes the acting allow us to humorously offer brave new heroines.
Héloïse Farago's musical compositions, performed live by her alter ego TroubaDure, blend 17th- and 18th-century song lyrics (Que ne suis-je la fougère, J'ai cru qu'en vous aymant) with rap or electroclash tracks (Jul or Sexy Sushi). The lyrics, rewritten to convey less gendered stories, share the rhythm of our contemporary music. Supported by TroubaDure, like Quixote and his Panza (*2) , Héloïse Farago takes up the blissful quest to create new narrative spaces illuminated by a past that never was, but that we would have wished was. The artist's interest in the Middle Ages stems from the fact that figures considered marginal today were to be included in a society that was less concerned with efficiency and productivity at all costs.
Beneath a seemingly naïve aesthetic, a real Trojan horse, the artist gives substance to true or fantasized narratives, which challenge the injunctions of sex or gender. The artist's "zany utopias" crystallize and reverse a long invisibilization of the history of women and the oppressed. Farago follows Wittigu's dictum: "In a world where we exist only in silence [...] at a time when heroes have gone out of fashion, we must become heroic in reality, epic in books. (*3)"
(*1) Monique Wittig wrote The Endless Journey, an epic feminizing Cervantes' Quixote, which may have inspired Héloïse Farago's practice.
(*2) Ibid.
(*3) Monique Wittig, Foreword, The Passion of Djuna Barnes, Paris Ypsilon Publisher, 2015.
Ana Mendoza Aldana
À travers des dessins aux crayons de couleurs sur napperons de cuisine en papier, des aquarelles et des peintures d’émail sur faïence, Héloïse Farago construit une iconographie contemporaine féministe et lesbienne inspirée, entre autres, de l’univers médiéval et des contes. Quichottes, chevaleresses, monstresses, dames nobles ou roturières héroïques, sont les protagonistes d’une œuvre qui se déploie également sous forme audiovisuelle, textile et sculpturale, et qui privilégie une esthétique do it yourself colorée et Camp faite avec des moyens simples.
Les figures ou scènes dépeintes par l’artiste ne sont pas uniquement le fruit de la fiction - celle de Monique Wittig (*1) ou celle familière des contes et romans de notre enfance. Dans la constellation visuelle de Farago s’inscrivent aussi des figures historiques aux vies fantasques et non-conformistes. On croise ainsi Marguerite de Beverly, une jeune anglaise plébéienne du XI e siècle partie en croisade à Jérusalem. Mue par un courage sans faille, celle-ci mène les batailles dénuées d’armure avec une casserole pour heaume.
Dans la vidéo Love Story (2023), cinq personnages dans une contrée lointaine rappelant l’Europe médiévale, se donnent pour mission de chasser le patriarcat. Ce groupe d’adelphes semble incarner différents aspects possibles d’un militantisme féministe joyeux : l’offensive et la défense, la camaraderie, la réconciliation, l’inclusion évidente de la lutte des personnes trans, et l’amour. Les costumes fabriqués par l’artiste ont la beauté assumée de tenues réalisées pour une pièce de théâtre ou pour un drag show amateur. Le ton comique de la narration et parfois le jeu des acteur·rices permettent de proposer avec humour de braves nouveaux·lles héro·ïnes.
Les compositions musicales d’Héloïse Farago, performées en live par son alter ego TroubaDure, mêlent les paroles de chansons du XVIIe ou du XVIIIe siècle (Que ne suis-je la fougère, J’ai cru qu’en vous aymant) avec des morceaux de rap ou electroclash (Jul ou Sexy Sushi). Les paroles, réécrites pour véhiculer des histoires moins genrées, partagent le rythme de notre musique contemporaine.
Épaulée par TroubaDure, comme Quichotte et sa Panza (*2), à Héloïse Farago revient la quête bienheureuse et la création de nouveaux espaces narratifs illuminés par un passé qui n’a pas été mais qu’on aurait aimé qu’il soit. Si l’artiste s’intéresse au Moyen-Âge, c’est que les figures considérées aujourd’hui comme marginales avaient pourtant leur place dans une société qui visait moins l’efficacité et la productivité à tout prix.
Sous une esthétique en apparence naïve, véritable cheval de Troie, l’artiste donne corps à des récits vrais ou fantasmés, qui remettent en question les injonctions de sexe ou de genre. Les "utopies loufoques" d’Héloïse Farago cristallisent et renversent une longue invisibilisation de l’Histoire des femmes et des opprimé·es. Elle suit ainsi la consigne wittigienne : "Il nous faut dans un monde où nous n’existons que passées sous silence [...] à l’époque où les héros sont passés de mode, devenir héroïques dans la réalité, épiques dans les livres (*3)."
(*1) Monique Wittig a écrit Le voyage sans fin, épopée féminisant le Quichotte de Cervantès, qui a pu inspirer la pratique d’Héloïse Farago.
(*2) Ibid. (*3) Monique Wittig, préface à La Passion de Djuna Barnes, Paris, Ypsilon Publisher, 2015.
Ana Mendoza Aldana
Le cycle d’expositions et de résidences artistiques "Les conjugueuls" se déroule comme un récit aux chronologies désarticulées, entre science-fiction, fantasy et réalisme magique. Ici, le passé est raconté différemment-faisant intervenir la fiction là où le réel fait défaut-, le présent s’ouvre sur d’infinis univers parallèles et l’avenir est fait de résurgences et de nouveaux débuts.
Pour le premier chapitre de cette histoire, l’artiste Héloïse Farago invite les visiteur·euses à partir en voyage dans un monde fabuleux avec son film Love Story. Celui-ci commence avec un livre qui s’ouvre, à l’instar des long-métrages Disney. Ici aussi il y un château et une forêt enchantée, mais, dans cette nouvelle histoire d’amour, aucune trace du prince charmant. La fable narre une quête inédite: la lutte contre le "patriarcat", un système social qui se fonde sur la différenciation entre le masculin et le féminin justifiant la domination des hommes et l'oppression des femmes et des minorités. Un autre royaume est ici exploré, où l'on peut vivre heureux·se en étant soi-même. L’artiste y apparaît sous les traits de la conteuse d’histoires TroubaDure et les figures rencontrées dans son épopée sont jouées par son entourage.
Pour ce film doux et drolatique, Héloïse Farago s’inspire du Voyage sans fin, (1985) de Monique Wittig, réécriture lesbienne et féministe de Don Quichotte (1605-1615), le célèbre roman de Miguel de Cervantès. Dans le récit de Wittig, la Quichotte, chevalière errante, lutte contre des moulins-patriarcats et part avec Panza, sa fidèle écuyère, à la recherche de son amoureuse et d’un monde meilleur. "Tout est dans le panache", écrit Wittig en se référant au caractère fière et burlesque de ses paladines. On retrouve cette allure joyeuse et militante dans les personnages qu’Héloïse Farago met en scène à travers la vidéo. Leurs costumes s’inspirent tant des contes enfantins que des Drag Shows. Pour détrôner les codes imposés par notre société et déjouer les catégories liées au genre, l’artiste a recours à l’esthétique camp-un style anti-sérieux et théâtral marqué par l’exagération et l’humour espiègle.
Les personnages du film reviennent dans ses dessins et ses peintures qui ornent dentelles en papier pour gâteaux, céramiques, boules et cœurs de décoration en plastique. Pirates, dames et chevalières côtoient chimères, créatures magiques et icônes d’enfance comme la rebelle Fifi Brindacier. Les histoires de ces héroïnes-qui ont réellement existé, ou sont issues de romans et d’œuvres d’art-se lisent sur les murs de cette installation que l’artiste recouvre d’un tissu bavarois, à la façon d’une nappe de cuisine ou d’un papier peint. Cet environnement domestique accueille et berce son "utopie loufoque" mi réelle mi inventée : un récit nouveau destiné à toutes les générations.
Valentina Ulisse
The cycle of artistic exhibitions and residencies entitled "Les conjugueuls" unfolds like a story with disjointed timelines, somewhere between science fiction, fantasy and magic realism. Here, the past is recounted differently. Bringing in fiction where reality is found lacking, the present opens up to infinite parallel universes and the future is made of resurgences and new beginnings.
For the first chapter of this tale, the artist Héloïse Farago invites visitors on a journey into a fantastic world with her film Love Story. Like a Disney film, it begins with a book that opens. It too has a castle and an enchanted forest, but, in this new love story, there is no prince charming to be found. It tells the story of an unusual quest: the fight against the “patriarchy”, a social system founded on the distinction between masculine and feminine in order to justify the domination of men and the oppression of women and minorities. Here, an alternative kingdom is explored, one where you can live happily ever after as yourself. There, the artist appears in the guise of the storyteller TroubaDURE and the characters we meet in her epic are played by people close to her.
For this gentle, humorous film, Héloïse Farago drew inspiration from Monique Wittig’s 1985 Voyage sans fin (endless journey), a lesbian and feminist retelling of Miguel de Cervantès’ famous novel Don Quixote (1605-1615). In Wittig’s story, the knight-errant Quixote fights patriarch-windmills and sets off with Panza, her loyal horsewoman in search of her girlfriend and a better world. "It’s all about the panache", Wittig wrote in reference to the proud and comic nature of her female paladins. We also find this joyful and militant style in the characters Héloïse Farago portrays in her video. The costumes are inspired by children’s stories and drag shows alike. In order to dethrone the codes imposed by our society and elude categories related to gender, the artist makes use of the camp aesthetic-an anti-serious and theatrical style characterised by exaggeration and a mischievous sense of humour.
The characters from the film can also be found in her drawings and paintings, which adorn paper lace for cakes, ceramics, decorative plastic balls and hearts. Pirates, ladies and knights rub shoulders with chimeras, magical creatures and childhood icons like the rebellious Pippi Longstocking. The stories of these heroines— whether drawn from real life or books and works of art-can be read on the walls of this installation, which the artist covers with Bavarian fabric, like a kitchen tablecloth or wallpaper. This domestic environment receives and cradles her half-real, half-invented "wacky utopia" : a new tale for all generations.
Valentina Ulisse
My artistic work unfolds across a variety of mediums and themes, all united by a quest for emancipatory and activist joy. I draw inspiration from medieval imagery and the dreamlike clichés it conjures (castles, creatures, and magic), as well as from the worlds of childhood, domestic life, and naïve art, to pay tribute to those who have been forgotten. I think of figures like Hildegard of Bingen, an 11th-century Benedictine nun who, though often celebrated as a notable medieval woman, is less known for her romantic relationship with Richardis, from whom she was cruelly separated. I also think of Jeanne de Belleville, a ruthless pirate from the 14th century whose motto was, 'For what pleases me," or of Hildegonde-Joseph and Eugénie-Eugène, whose stories I discovered while reading Les Genres Fluides by Clovis Maillet.
I see the images I create as a kind of Trojan Horse : they present scenes that are immediately recognizable through familiar motifs like childlike and medieval figures-princesses, monsters, and castles. Their vibrant colors and the shine of the plastics and enamels I use make them accessible. But when you look closer, humor, emancipation, and resilience come to light. This is how Pippi Longstocking ends up alongside hybrid creatures-half-women, half-animal or plant-and knights like Marguerite de Beverly, Jeanne de Belleville, or La Quichotte. The first (Pippi Longstocking) is a heroine from my childhood, embodying a playful irreverence. Marguerite de Beverly, a 13th-century knight, lacking a proper helmet, set off on a crusade with a cooking pot on her head-a kitchen utensil, symbol of patriarchal oppression, repurposed for battle. Then there is Jeanne de Belleville, mentioned earlier, and La Quichotte from Monique Wittig’s Le voyage sans fin (the endless journey), her brilliant feminist and lesbian reimagining of Cervantes' Don Quixote, where she fights against "patriarchal windmills" and defends her love for women.
The idea of sapphic knights fighting in a world of absurdity enchants me.
Though the figures I create may seem like they’ve escaped from misogynistic tales, they are free in their bodies and their hearts, accompanied by lovers, and taming the monsters that once oppressed them. Artistic, social, and gender hierarchies blur-plastic becomes glass, sculptures transform into costumes, ceramics turn into paintings, and walls are adorned with paper tablecloths covered with hand-drawn lace doilies. It’s within this same world that my alter ego, TroubaDure, comes to life-a lesbian trobairitz that I embody in performance-concerts, singing ancient songs over rap instrumentals. While reading the reissue of Le voyage sans fin, I came across a preface by Wendy Delorme that moved me deeply and could serve as the guiding spirit of my work. So, I’ll end by quoting a passage : "My soul holds so many stories glorifying the lover-knights that I can rebuild the walls of an entire city, and even populate it."
Mon travail plastique se déploie à travers une pluralité de médiums et de sujets rassemblés par la quête d’une joie émancipatrice et militante. Je puise dans une imagerie issue du Moyen-Âge et des lieux communs oniriques qu’il entraine (châteaux, créatures et magie), mais aussi dans les champs de l’enfance, du domestique ou de l’art naïf afin de rendre femmage à celles que l’on a oubliées. Je pense par exemple à Hildegarde de Bingen, une moniale bénédictine du 11ème siècle qui, certes, est connue et souvent citée comme l’une des femmes médiévales célèbres, mais dont on entend beaucoup moins raconter son histoire d’amour lesbienne avec Richardise, dont elle a été brutalement séparée. Je pense aussi à Jeanne de Belleville, première femme pirate sanguinaire du 14ème siècle, dont la devise était : "Pour ce qu’il me plest ", ou à Hildegonde-Joseph ou Eugénie-Eugène, dont j’ai appris les noms et les destins en lisant Les Genres Fluides de Clovis Maillet.
Je considère que les images que je produis agissent comme une sorte de Cheval de Troie : elles représentent des scènes à première vue identifiables grâce aux topoïs que sont les figures enfantines et médiévales de princesses, monstres et châteaux. Elles sont aussi accessibles grâce aussi à leur apparence très colorée et la brillance des plastiques et émaux que j’utilise. Mais si l’on y regarde de plus près, surgissent humour, émancipation et résilience. Et c’est ainsi que Fifi Brindacier se retrouve à accompagner des créatures hybrides mi-femmes, mi-animales ou végétales, et des chevalières telles que Marguerite de Beverly, Jeanne de Belleville ou la Quichotte. La première (Fifi Brindacier) est l’héroïne de mon enfance et de la gracieuse irrévérence. Marguerite de Beverly, (13ème siècle) elle, fut une chevalière qui, n’ayant pas de heaume, partit en croisade avec une casserole sur la tête, s’affublant ainsi d’un accessoire de cuisine, symbole d’oppression patriarcale pour aller combattre des hommes. Jeanne de Belleville figure plus haut, et la Quichotte de Monique Wittig elle, sort du Voyage sans fin, sa fabuleuse réécriture lesbienne et féministe du Don Quichotte de Cervantes dans laquelle elle combat des " moulins-patriarcats " et défend ses amours lesbiennes.
L’idée de chevalières saphiques qui se battent dans le loufoque m’enchante.
Si les figures que je produis semblent échappées de contes misogynes, elles sont libres de leur corps et de leur cœurs, s’accompagnent d’amoureuses et apprivoisent les monstresses qui les oppressaient dans un passé lointain. Les hiérarchies artistiques, sociales et de genre tendent à être effacées, le plastique devient verre, les sculptures sont costumes, les céramiques sont peintures et les murs s’ornent de nappes en papier recouvertes de napperons en dentelle de cuisine dessinés. C’est dans ce même univers que surgit mon personnage d’alter-ego TroubaDure, une trobaïritz lesbienne que j’incarne lors de performances-concerts durant lesquelles je chante des chansons anciennes sur des instrumentales de rap. En lisant la réédition du Voyage sans fin, j’ai découvert dans sa préface un texte de Wendy Delorme qui m’a bouleversée et qui pourrait être LA note d’intention de mon travail. C’est pourquoi je ne peux que finir en en citant un extrait : "Mon âme contient tant de récits à la gloire des amantes-chevalières que je peux rebâtir les murs de toute une ville, et même la peupler ".
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